Sur la corde raide: le délicat apprentissage de l’autorité éducative (partie 1)

Au bord du gouffre... ou pas?

Au bord du gouffre… ou pas?

L’idée d’écrire cet article m’est venue en lisant le lamentable rapport Grosperrin sur la « perte des repères » à l’école. Au départ, je projetais plutôt d’écrire un compte rendu du dit rapport, mais de coups de menton en réquisitoire contre ces profs irresponsables qui font cours en T-shirt quand il fait chaud, j’ai très vite arrêté les frais. S’infliger cela et le résumer ensuite aurait été à peu près aussi utile que de se taper le regrettable et dispensable livre d’Eric Ciotti, sobrement intitulé « Autorité », surtout que Philippe Watrelot et Jean-Michel Zakartchouk se sont déjà chargés d’éreinter avec talent ce tissu d’âneries.
Mais de ce projet est restée l’idée qu’une conception autoritariste de l’autorité demeure très présente, à l’insu même des jeunes enseignants stagiaires parmi lesquels je figurais il n’y a pas si longtemps.  C’est pour cela que j’ai choisi de montrer comment j’avais vécu cet aspect du métier en débutant et, en creux, comment je vois les choses maintenant. J’ai volontairement forcé un peu le trait, parfois, pour mieux faire comprendre que pour moi, la question de l’autorité éducative est d’abord une affaire d’état d’esprit.
Ecueil n°1: « Il faut que tu les tiennes! » ou la peur de perdre la face
Mon concours en poche, j’ai reçu une affectation pas forcément évidente pour un stagiaire, un lycée de banlieue dans lequel j’enseigne toujours (et avec plaisir!) aujourd’hui. L’angoisse de cette affectation, mon envie de transmettre exclusivement du contenu et surtout les conditions déplorables d’entrée dans le métier d’alors (j’ai débuté en septembre 2011 à temps plein avec une formation très sommaire) ont fait que j’ai mis beaucoup de temps à me dépêtrer de cet écueil.
Toujours est-il que mon premier jour, je l’ai foiré dans les grandes largeurs. Comme beaucoup de stagiaires, me direz-vous. Sauf que non: j’avais décidé de placer les élèves d’entrée, histoire de montrer qui était le « patron ». Entre les noms compliqués et le reste, l’appel et placement m’a pris un temps fou. Autant dire que la démonstration d’autorité a fait long feu. Evidemment, les élèves ont fini par se mettre à bavarder. Ce que je n’arrivais même pas à concevoir, à l’époque: un élève, ça laisse sa vie extérieure à la porte, ça écoute, et surtout, ça se tait. Je l’ai jouée « action, réaction »:  au moindre écart futile, punition débile. Je ne sais pas combien j’en ai puni la première semaine, mais suffisamment pour me mettre à dos certaines classes, qui avaient déjà  au départ un bon potentiel de classe difficile: élèves en manque de confiance car en échec depuis longtemps, et du coup très sensibles à la moindre marque de rejet. Elles sont devenues rapidement difficilement gérables, d’autant que j’étais paralysée par l’hostilité grandissante que je me prenais en retour dans la figure.
Bref, cette peur de perdre la face, cette logique d’affrontement permanent, personne n’en sort gagnant. Ni les élèves, qui ont le droit d’attendre de leur professeur qu’il soit solide à tous points de vue tout en étant accessible,  ni le professeur, qui s’épuise et souffre, quoi qu’il en dise, de cette relation malsaine qui s’est instaurée. C’est cette expérience qui me rend instinctivement rétive à l’appellation contrôlée « autorité naturelle »: on peut avoir spontanément de bons réflexes, mais l’essentiel de l’autorité en classe ne repose pas là-dessus. Il en va de même pour l’expression « tenue de classe », que je trouve affreuse précisément parce qu’elle induit un rapport de force qui ne devrait pas avoir lieu d’être dans une salle de classe.


7 responses to “Sur la corde raide: le délicat apprentissage de l’autorité éducative (partie 1)

  • Placiard

    Un vaste sujet c’est clair… savoir pratiquer le lâcher prise, pour éviter d’aller au conflit est important, rappelons juste que notre classe n’est pas un ring de boxe, qu’une séance n’est pas un match et ne nécessite donc pas à la fin un gagnant et/ou un perdant….
    Si il doit y avoir un gagnant alors qu’il soit l’apprentissage, le plaisir d’apprendre et de transmettre, de partager…. mais voilà d’autres vastes sujets pour la réussite de tous !

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  • AUBRY Philippe

    l’autorité s’exerce naturellement dès lors que l’enseignant, et surtout l’élève, trouvent du « sens » aux apprentissages imposés. Ils deviennent alors coopérants car un enseignement dépourvu de sens pour un élève devient pour lui une maltraitance manifestée par une attitude de désintérêt, d’abandon, voire de provocation. Ainsi naît le rapport de force dont personne ne sort gagnant. La confiance et l’intérêt commun sont alors de mise, l’autorité permettant juste d’asseoir la légitimité de chacun dans son rôle.

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  • Cripure

    Très bien, ces articles. En pus, je suis d’accord vec vous et donc, je vous grille auprès de tous vos amis (quel aréopage :)) !

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  • Cripure

    Et j’ai un clavier Ficher-Price… Désolé.

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  • On achève bien la formation des enseignants | Questions pédagogiques

    […] subies par les instituts universitaires de formation des maîtres. Et dans la continuité de mes billets sur l’apprentissage de l’autorité, j’ai eu envie de mettre en forme la colère qui me monte encore au nez lorsque les conditions […]

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